Temps et langue : comment notre manière de parler façonne notre perception du temps
- 27 mai
- 3 min de lecture
Quand le temps se cache dans la langue
Et si le temps n’était pas seulement une affaire d’horloge ou de calendrier ?Et si notre langue – celle que nous parlons au quotidien – influençait la manière dont nous percevons le temps, vivons le présent, racontons le passé, ou imaginons le futur ?
En explorant les structures des langues du monde, nous découvrons que la grammaire n’est pas neutre. Elle oriente notre pensée, notre mémoire, et même notre rapport à l’univers. Plongeons ensemble dans un voyage à travers le temps et les langues.
1. Le français : quand la langue prend le temps au sérieux
Le français est une langue fascinante pour son obsession du temps.Ses multiples temps verbaux — présent, imparfait, futur, passé composé, subjonctif, conditionnel — obligent l’esprit à organiser les événements sur une ligne temporelle précise.
Mais ce n’est pas tout : les modes (indicatif, subjonctif, impératif…) sont autant de filtres sur le réel.Par exemple :
"Si j’avais su, j’aurais agi autrement." → Le conditionnel crée un monde parallèle.
"Il faut que tu viennes." → Le subjonctif ajoute une couche d’incertitude, d’émotion.
Autrement dit, la langue française nous entraîne à conceptualiser le temps comme quelque chose qu’on peut manier, découper, nuancer. C’est un outil puissant… mais culturel.
Retrouvez nos ressources pour enseigner ou apprendre les temps du français :
Et de façon ludique :
2. D’autres langues, d’autres temps (ou pas de temps du tout)
Toutes les langues ne se préoccupent pas du temps de la même manière.
Le chinois mandarin : sans conjugaison, mais pas sans temps
Le mandarin n’a pas de conjugaison verbale. À la place, il utilise des particules qui indiquent si une action est achevée (了 le), habituelle (过 guo), ou en cours (在 zài).Le temps y est lié à l’aspect, non à la chronologie.
Le Hopi : une langue du monde invisible
Le Hopi, langue amérindienne analysée par Benjamin Whorf, ne distingue pas passé, présent et futur. Il distingue ce qui est manifesté (expérimenté) de ce qui ne l’est pas (croyances, potentiels).Ici, la langue structure une vision du monde basée sur l’expérience, pas sur une ligne de temps.
Le aymara : le passé est devant
En aymara (langue des Andes), le passé est devant soi, car on peut le voir, et le futur est derrière, invisible. Une inversion totale de notre logique occidentale.
Ces différences nous montrent que la langue modèle le rapport au temps différemment selon les cultures.
3. Quand temps et langue se rejoignent dans le cerveau
La langue et le temps ne sont pas seulement des concepts grammaticaux : ils s’ancrent dans le cerveau.
Neurosciences et perception du temps
Des chercheurs comme Lera Boroditsky (Stanford) ont montré que les langues influencent la façon dont les gens perçoivent la durée, la direction du temps et la mémoire.
Les anglophones imaginent le temps horizontalement ("ahead of us", "behind us"), alors que les chinois peuvent l’imaginer verticalement (le passé en haut, le futur en bas).
Le cortex préfrontal (siège de l’anticipation) et l’hippocampe (siège de la mémoire) sont mobilisés différemment selon les langues parlées.
En bref : parler une langue, c’est entraîner son cerveau à vivre le temps d’une manière particulière.
4. Pourquoi cela change tout (même notre avenir collectif)
Quand une langue nous apprend à vivre le temps autrement, elle ouvre aussi la voie à une autre organisation du monde :
Une culture sans futur grammatical pourrait être moins anxieuse.
Une langue orientée vers l’hypothèse et le conditionnel développe peut-être plus d’empathie.
Une civilisation qui “voit” le passé devant ses yeux le respecte peut-être davantage.
Peut-on imaginer des systèmes éducatifs, juridiques, écologiques influencés par une autre manière de penser le temps à travers la langue?
Et si les civilisations anciennes — Égyptiens, Mayas, Dogons — avaient intégré une vision cosmique du temps, transmise par les langues, les mythes, les étoiles?
Réconcilier temps et langue pour penser demain
Le temps et la langue sont les deux faces d’un même miroir : celui de notre conscience.Comprendre cela, c’est plus qu’un exercice linguistique — c’est un acte de reconnexion.
Enseigner une langue, c’est transmettre une vision du monde.Réfléchir au temps, c’est préparer l’avenir.Et si notre salut collectif passait par cette double écoute — du temps et de la langue — pour enfin penser un futur qui nous ressemble?
🌱 À vous la parole :
Écrivez-nous une phrase dans votre langue (ou une autre) qui dit quelque chose sur le temps.Partagez-la, commentez, racontez. C’est ainsi que commence un nouveau récit.










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